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dans nos histoires

pour une poignée d’hormones

Lizzie Crowdagger

Les premières pages d’Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires) de Lizzie Crowdagger.

On dit souvent qu’une transition pour changer de genre est un parcours du combattant. C’est d’ordinaire moins littéral que les évènements que j’allais vivre, mais il est certain qu’obtenir sa première ordonnance d’hormones peut être un processus délicat si on n’a pas l’adresse d’un médecin un peu plus ouvert que la moyenne.

La femme que j’avais en face de moi n’avait rien d’un médecin.

Elle devait mesurer un bon mètre quatre-vingt-dix, et ses cheveux noirs et longs tranchaient avec son visage blanc. Elle était habillée de façon gothique, avec un corset noir et rouge et un pendentif tête de mort. Et elle venait d’apparaître comme par magie dans le bar où on s’était donné rendez-vous.

« Salut, fit-elle. T’es Cassandra, c’est ça ?

— Euh, oui, répondis-je. C’est moi.

— Valérie, se présenta-t-elle en me tendant une main aux ongles vernis noirs. Enchantée. »

Je restai silencieuse, troublée, et elle se mit à sourire. Je ne pus m’empêcher de contempler ses canines, bien plus longues que la moyenne.

« Parlons business. Je suppose que tu viens pour des hormones et pas du sang de vampire ? »

On était en novembre 2008, et j’entamais ma vingt-et-unième année. Étudiante en maîtrise de mathématiques, je venais de quitter Cardiff, au Royaume-Uni, pour m’installer à Lille. Et même si je parlais parfaitement le français grâce à ma mère dont c’était la langue natale, j’étais encore en train de m’adapter aux coutumes des continentaux, en particulier leur sale manie de rouler à droite.

Je mesure un mètre soixante-quinze et j’ai les cheveux bruns, que je portais alors plutôt longs. Je suis relativement mince et j’ai la chance d’avoir les traits assez fins, même si je jugeais en ce temps ma mâchoire, qui me venait pourtant de ma mère, bien trop carrée.

À l’époque, j’étais en début de parcours et mon entourage avait des difficultés à accepter ma nouvelle identité. Je m’étais débrouillée pour prendre des œstrogènes à faible dose pendant six mois ; ma poitrine avait commencé à se développer, ma peau était plus fine et mes poils un peu moins envahissants. J’espérais qu’en obtenant un véritable traitement, les effets iraient en s’amplifiant.

J’avais rencontré Valérie sur Internet. D’après ce que j’avais compris, elle donnait des hormones aux filles comme moi. Ce n’était probablement pas très légal, mais au moins je ne dépendais pas du bon vouloir d’un médecin. En revanche, je ne m’étais pas vraiment attendue aux autres petits trafics dont elle parlait.

« Évidemment, reprit-elle, tu pourrais venir pour les deux. Mais j’ai l’impression que mes clientèles sont assez cloisonnées.

— Vous vendez vraiment du sang de vampire ? osai-je finalement demander. Il y a des gens qui achètent ça ?

— Tu n’as pas idée. Ils pensent que ça va les rendre plus forts, plus jeunes, plus beaux…

— Et ça marche ?

— Non, admit la dealeuse en souriant. En général, c’est totalement inefficace. Mais rassure-toi, mes hormones ont bien l’effet voulu, elles. À ce propos, t’as fait des analyses de sang ? »

Je fis non de la tête. Est-ce que j’allais quand même devoir passer devant un docteur, finalement ?

« C’est important ? demandai-je.

— Un peu, quand même, soupira Valérie. Je ne suis peut-être pas médecin, mais je ne fais pas les dosages au pifomètre non plus. Pas complètement, en tout cas. »

Elle posa ses doigts sur ma main droite en jetant un regard soupçonneux sur le vernis rouge de mes ongles. Je me demandai si c’était parce que j’avais débordé ou parce qu’elle n’aimait pas la couleur.

Puis elle sortit avec sa main libre une sorte de bague-griffe en argent qu’elle enfila à son index.

« Ne t’inquiète pas, dit-elle d’une voix douce. Ça ne fait pas mal. »

Elle me griffa le dos de la main, qu’elle guida ensuite vers ses lèvres.

« Hum », fit-elle après avoir léché le sang.

Elle avait l’air très concentrée et semblait analyser mon hémoglobine comme un œnologue l’aurait fait avec un grand cru.

« T’es déjà sous traitement hormonal ? s’étonna-t-elle.

— J’avais une amie qui me passait une partie de ses comprimés, mais depuis que j’ai déménagé, c’est compliqué.

— En tout cas, ton foie a l’air de ne pas trop mal le supporter.

— Vous êtes capable de dire ça avec trois gouttes de sang ? »

Elle me contempla d’un air blasé.

« Deux conseils. Un, tutoie-moi. Deux, évite les questions dont la réponse est assez évidente.

— D’accord, dis-je en rougissant. Est-ce que c’est idiot aussi de demander si vous… pardon, si tu es une vampire ?

— Non, fit-elle en levant les yeux au ciel. Ce n’est pas idiot, c’est impoli. C’est comme si je te demandais si tu étais opérée.

— Comment je pourrais être opérée alors que je n’arrive même pas à me procurer des hormones ? » répliquai-je.

La plupart des chirurgiens demandent effectivement, avant de pratiquer une réassignation sexuelle, deux années de traitement hormonal et l’aval d’un psychiatre. Je n’avais ni l’un ni l’autre.

Valérie haussa les épaules.

« J’ai vu des choses plus étranges. Et, non, je ne suis pas une vampire. Je me suis juste fait rallonger les dents. En général, les authentiques suceurs de sang me voient un peu comme une groupie pathétique.

— Désolée.

— Pourquoi ? demanda-t-elle en souriant. J’aime bien donner cette image. Bref, revenons à tes hormones. Tu les veux comment ?

— Comment ça ?

— Des comprimés à avaler ? Des patchs sur la peau ? De la pommade ? En injection par seringue ? Je suis aussi presque sûre qu’on peut les fumer, mais personne n’a jamais voulu essayer. »

Je m’en fichais un peu. Ce qui comptait pour moi, c’était le résultat, pas le mode d’administration.

« Je ne sais pas. Vous me conseillez quoi ?

— Je me suis fait implanter des dents de vampire, répliqua Valérie, je m’amuse à boire du sang humain alors que ça me file la gerbe, je consomme un nombre important de substances illicites et j’ai un certain penchant pour l’automutilation. J’ai la gueule d’une fille qui donne des conseils médicaux hyper-pertinents ? Et je te rappelle que tu peux me tutoyer.

— Euh… la pommade, c’est peut-être le plus simple, non ? »

Valérie me dévisagea, dubitative.

« C’est le moins drôle, surtout. À moins de faire des câlins à un petit copain juste après t’être tartinée. T’as un copain ?

— Non.

— Bah, un copain, c’est chiant aussi. Bref. Je n’ai rien sur moi, mais je peux te livrer demain.

— Et niveau tarif ? demandai-je. Je ne suis pas très riche… »

Valérie fit un grand sourire, dévoilant ses – fausses – dents de vampire.

« J’ai l’air intéressée en priorité par le fric ? »

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